Post-scriptum de la seconde édition de Cap sur la retraite, Flammarion Québec, 2020
Par Marie-Paule Dessaint, Ph.D., auteure, conférencière et biographe
Les nouveaux retraités sont bien placés pour faire changer les choses, en mieux, pour toutes les générations. Beaucoup disposent des ressources pour y parvenir: le temps, l’expérience, l’expertise, les compétences, les connaissances et, bien sûr, des valeurs hautement humaines. Ils sont doublement concernés, car, dans 25 ans ou même avant, ils auront besoin à leur tour que l’on prenne soin d’eux ! Marie-Paule Dessaint
Cela vaut la peine de relire ce post-scriptum, aujoud’hui, quelques années après la parution de mon livre, et avec un certain recul.
Il est un peu long, mais il fait état de ma pensée à propos de la retraite, du vieillissement, de la pandémie de COVID-19, du sort de certains aînés, du fléau de l’âgisme, ainsi que des objectifs du gouvernement du Québec pour les prochaines années.
Il est question aussi de la crise du climat et de certaines de nos valeurs qui mériteraient d’être révisées!
Le 2 juin 2020, notre premier ministre François Legault disait à peu près ceci
Quand on parlera de 2020 dans 25 ou 50 ans, on se rappellera que, malheureusement, on a perdu des milliers d’aînés de la COVID-19, en partie parce qu’il manquait de personnel. J’espère qu’on se souviendra aussi qu’en 2020 on a enfin réglé le problème pour prendre bien soin de nos aînés les plus vulnérables
Dans 25 ans, il y aura sur Terre plus d’aînés que de jeunes. Les baby-boomers auront tous plus de 65 ans et ceux de la première vague seront centenaires !
Ils seront nombreux à réclamer des soins de santé et de fin de vie.
Dans 25 ans, qui que nous sommes et quel que soit notre âge, nous pourrions aussi ne plus être de ce monde.
C’est le risque que nous courons si nous continuons de malmener la planète comme nous le faisons depuis si longtemps malgré ses nombreux avertissements.
Tout est imbriqué. La crise dans les CHSLD est le résultat de notre insouciance collective, d’une vision à court terme et de décisions trop souvent prises dans l’urgence.
Cette crise était assez prévisible et bien documentée, tout comme celle du climat qui ne cesse de s’aggraver.
Nous avons laissé la situation se détériorer, trop occupés que nous étions à régler des problèmes « plus importants », à consommer et à gaspiller, en pillant et polluant outrageusement l’environnement !
Selon les spécialistes, si des mesures draconiennes ne sont pas prises à l’échelle mondiale, notre survie est menacée, car, d’ici quelques décennies, nous aurons atteint un point de non-retour. La crise de 2020 est un nouveau coup de semonce.
Parallèlement à la dégradation du climat, nous assistons au déclin de notre civilisation
L’éclatement des familles, la solitude, l’isolement et la détresse psychologique de bien des gens, surtout des personnes âgées, nous attristent
Nous constatons le cynisme, la compétition, l’épuisement professionnel, les fraudes financières et les cyberattaques de plus en plus fréquentes.
Nous déplorons l’affaiblissement des valeurs hautement humaines qui sont le ciment des relations : solidarité, coopération, entraide, compassion, civisme et courtoisie.
Pris dans cette tourmente, comment trouver le temps, l’énergie et le désir de nous soucier du bien-être de nos semblables, tout particulièrement des plus fragiles et dépendants ?
Il semble bien, pour le moment, que la pandémie de COVID-19 ait exacerbé leurs problèmes et leurs malheurs.
Elle a même ravivé le fléau de l’âgisme, avec d’horribles mots-clics comme #BoomerRemover.
Mais elle a aussi engendré bien des actes de générosité, de bonté et d’abnégation, alors que beaucoup n’ont pas hésité à mettre leur vie en péril pour secourir les plus démunis.
Espérons que, dans 25 ans, nous nous souviendrons encore de leur dévouement.
Je suis rassurée d’entendre que la pandémie nous a appris que nous n’étions pas des dieux tout-puissants.
Si nous disparaissons, la Terre s’en portera sans doute bien mieux…
Nous avons aussi réalisé que, ni l’argent, ni le pouvoir, ni même la science ne peuvent nous mettre à l’abri d’un ennemi comme ce virus invisible.
Nous devrions donc faire preuve d’un peu plus d’humilité, revoir en profondeur nos besoins non essentiels, accepter de faire des concessions pour le bien-être collectif et, surtout, nous délecter de l’instant présent puisque nous ignorons de quoi demain sera fait.
Vieillir et mourir dans la dignité et le respect
Il est temps que des mots comme amour, joie, sérénité, solidarité, compassion, espoir, santé et bien-être reviennent donner un sens à la vie
L’hécatombe, qui sévit dans les CHSLD au moment où nous préparons cette nouvelle édition de mon livre (2020), pousse nombre d’entre nous à n’avoir pas envie d’être vieux longtemps, si c’est pour mourir de cette façon.
Comment ne pas y penser sans cesse quand, depuis des mois, les mots mort et décès sont ceux qui dominent chaque jour, chiffres à l’appui !
Je me demande si les « décideurs », et notamment nos élus, ont bien étudié la question des soins de longue durée et de fin de vie avant de se lancer, en pleine tourmente sociale, sanitaire et financière, dans la construction de maisons des aînés et dans l’embauche massive de préposés aux bénéficiaires mieux formés et mieux payés.
Il n’est jamais très bon d’agir dans l’urgence, car des décisions difficiles à renverser peuvent être prises.
On se souviendra en particulier de la restructuration du réseau de la santé et des services sociaux par le ministre Gaétan Barrette en 2015.
Cette restructuration a probablement été l’un des catalyseurs de la situation actuelle.
À l’époque, le ministre affirmait pourtant que sa loi 10 était bénéfique et qu’elle avait même dépassé ses objectifs !
Aujourd’hui, je me demande si nos décideurs ont mené suffisamment d’études et de consultations sur les besoins fondamentaux de ceux qui habiteront ces maisons des aînés et de leur entourage.
J’aimerais les inviter à lire la section consacrée aux municipalités amies des aînés, les MADA (p. 311)
Dans ce projet, les aînés, même fragiles et vulnérables, ont été consultés avant d’aménager les espaces extérieurs et intérieurs. Tout a été conçu pour qu’ils s’y sentent chez eux, intégrés, actifs, utiles et proches des plus jeunes
L’idéal serait peut-être que ces municipalités soient aussi responsables des soins à domicile, voire plus ? Cela réduirait la lourdeur bureaucratique !
Après avoir été un peu mise aux oubliettes, l’option du maintien à domicile reprend du poil de la bête.
Souhaitons que « les bottines suivent les babines » : une expression québécoise qui dit tout ! Et prenons rendez-vous en 2025 pour voir où nous en sommes…
Je voudrais recommander aussi à tous ces décideurs la section consacrée aux desiderata de fin de vie (p. 319).
On y découvre notamment quelle attitude une personne aimerait que l’on ait à son égard aux derniers moments de son existence. Cette liste de souhaits n’a pas de commune mesure avec ce que nous avons lu et entendu dernièrement dans les CHSLD, où des mourants ont connu la faim, la déshydratation, la canicule sans climatisation, la solitude, le manque de contact physique et d’écoute, la malpropreté, l’absence de dignité…
Cela semble tellement irréel et incompréhensible dans une société libre, évoluée et riche comme la nôtre.
Gardons espoir et agissons !
Il ne faudra jamais oublier ce que tant de gens — personnes seules, âgées, handicapées, malades, travailleurs, parents, enfants, couples — ont subi durant l’année 2020.
Nous devons nous engager, nous soutenir et nous battre, individuellement et collectivement, pour qu’une telle catastrophe ne se reproduise pas…
Les crises, les bouleversements et la maladie ne surgissent pas par hasard. Ils nous servent d’indicateurs pour rectifier une trajectoire, explorer de nouvelles orientations, expérimenter un autre chemin de vie
Ce commentaire de Carl Gustav Jung s’applique autant à la pandémie qui vient de frapper le monde qu’à ce que chacun de nous vit lorsqu’il prend sa retraite.
Les nouveaux retraités sont bien placés pour faire changer les choses, en mieux, pour toutes les générations.
Beaucoup disposent des ressources pour y parvenir : le temps, l’expérience, l’expertise, les compétences, les connaissances et, bien sûr, des valeurs hautement humaines que j’ai mentionnées plus haut.
Ils sont doublement concernés, car, dans 25 ans ou même avant, ils auront besoin à leur tour que l’on prenne soin d’eux !
Souhaitons que la crise de 2020 les aide à réaliser que la retraite peut satisfaire ces besoins qui ne meurent jamais : évoluer, contribuer, se connecter aux autres, trouver un sens à la vie.
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La maladie, le vieillissement, la mort sont des états extrêmement intimes. Que pourrait-il y avoir qui soit plus proche de notre personne? Pourtant nous tendons à les écarter, comme s’il s’agissait d’événements étrangers à nous et non de faits les plus fondamentaux de notre vie. Naturellement, nous n’y parvenons pas. Larry Rosenberg, auteur de Vivre, à la lumière de la mort, de la vieillesse et de la maladie
Les souhaits de fin de vie (extrait de «Cap sur la retraite»)