Sans attention ni concentration, on ne peut se souvenir
Les portes d’entrée de la mémoire à entretenir en priorité
© Par Marie-Paule Dessaint, docteure en sciences de l’éducation, auteure, conférencière et biographe
Lorsque notre esprit part à la dérive, le cerveau active une foule de circuits qui se mettent à bavarder au sujet de choses sans aucun rapport avec ce qu’on cherche à apprendre. Quand on n’est pas concentré, on n’emmagasine aucun souvenir clair de ce qu’on apprend. Daniel Goleman
Les textes de cet article sont en partie tirés de mes livres consacrés à la mémoire et à l’intelligence et du contenu de mes conférences.
Nous avons tendance à nous inquiéter et à nous culpabiliser au moindre oubli alors que nous devrions plutôt chercher à débusquer les facteurs à l’origine de nos soucis et ratés de mémoire afin de les combattre, les atténuer ou les contourner.
Nous avons du pouvoir sur la majorité d’entre eux.
Je vous propose de nous attarder à l’attention et à la concentration puisque ce sont les portes d’entrée de la mémoire (des fonctions cognitives exécutives).
Il faut apprendre à bien les ouvrir et à déblayer tout ce qui les encombre.
Voici comment
– Je commence par expliquer le rôle joué par les trois types d’attention et pourquoi il est indispensable de les entretenir et de les exercer constamment si nous voulons conserver notre mémoire vive et alerte en vieillissant.
– Je suggère ensuite quelques exercices et habitudes de vie pour améliorer les capacités d’attention et de concentration.
– Dans cet autre article, Pour se concentrer, il faut faire fi des automatismes, je vous invite à découvrir le rôle déterminant de l’inhibition cognitive.
Celle-ci doit précéder l’attention et la concentration, mais elle est plus lente à s’exécuter que les automatismes qui nuisent à la concentration.
– Je termine cet article avec une liste des principaux ennemis de la mémoire et de l’intelligence auxquels nous devons être attentifs.
5 questions pour vérifier si vous vous laissez facilement déconcentrer
Elles sont tirées du livre Rajeunir sa mémoire après 50 ans.
- Les bruits environnants vous distraient-ils facilement?
- Votre esprit a-t-il tendance à vagabonder lorsque vous lisez, écrivez, parlez avec quelqu’un ou regardez la télévision?
- Éprouvez-vous souvent des difficultés à fixer votre attention sur le contenu d’un discours, d’une conférence ou d’un reportage que vous regardez à la télévision?
- À la maison ou au travail, vous arrive-t-il souvent de vous sentir fatigué en fin de matinée ou carrément de vous endormir en début d’après-midi au point de vous sentir incapable d’effectuer votre travail convenablement?
- Oubliez-vous parfois ce que vous étiez en train de faire?
Attention et concentration: les portes d’entrée de la mémoire
L’attention et la concentration sont des fonctions cognitives supérieures, exécutives qui surviennent immédiatement après la perception par les organes des sens de ce qui nous intéresse à un moment précis.
Elles permettent alors à d’autres fonctions cognitives de s’exercer dans la mémoire de travail, par exemple le calcul, l’analyse d’une situation ou l’encodage dans la mémoire à long terme.
À moins que des interférences (bruit, personne qui nous interrompt, douleurs) viennent les ralentir ou les empêcher de s’exercer.
À propos de l’inhibition cognitive
Le cerveau est un cheval fougueux que l’inhibition cognitive dirige tel un cavalier avec ses rênes. Roland Jouvet
Les personnes âgées (des plus jeunes aussi) se plaignent souvent des piètres performances de leurs mémoires à court terme et de travail, surtout lorsqu’elles doivent manipuler plusieurs informations en même temps.
En fait, les neuroscientifiques ont établi qu’il s’agit plutôt d‘un déficit d’inhibition cognitive, un mécanisme d’autocontrôle qui doit précéder l’attention et la concentration.
Ce déficit a pour conséquence de laisser une foule d’éléments totalement inutiles encombrer la mémoire et parasiter les capacités d’attention et de concentration.
Choisir de porter attention à une information exige en effet de renoncer à d’autres informations ainsi qu’à d’autres stimuli.
C’est l’inhibition cognitive qui permet de sélectionner rapidement les actions que nous voulons enclencher et de mettre en sourdine tout ce qui n’est pas utile à la tâche à accomplir. Elle empêche les automatismes, les réflexes, les habitudes, les interférences et les émotions de prendre le contrôle de nos pensées, de nos actions, de nos comportements et de nos apprentissages
Et bien plus que cela comme vous le verrez dans cet article qui lui est consacré.
Mobiliser nos capacités d’attention et de concentration n’a pas qu’un impact sur les performances de notre mémoire.
Grâce à elles, notre vie est plus efficace et plus agréable, car nous gagnons du temps, réduisons les distractions, les erreurs et les oublis en plus d’améliorer la qualité du travail ou des apprentissages que nous réalisons.
On peut ajouter à cette liste de meilleures relations puisque nous restons attentifs et à l’écoute de ce que les autres ont à nous dire sans laisser notre pensée errer ailleurs, par exemple pour réfléchir à ce que nous allons raconter à notre sujet tout en écoutant l’autre distraitement.
Écouter l’autre attentivement et s’intéresser vraiment à ce qu’il dit ou vit est un moyen formidable de lui montrer notre intérêt, notre amitié ou notre affection
Les trois formes d’attention
Soutenue, partagée, sélective
Les spécialistes de la mémoire ont mis en évidence trois formes d’attention jouant chacune un rôle particulier dans la capacité de nous concentrer, puis de stocker les informations dans notre mémoire
L’attention soutenue: rester attentif longtemps
L’attention soutenue est la capacité de rester attentif pendant une période assez longue, par exemple en lisant, en écoutant un exposé ou une conférence ou en discutant avec une autre personne ou en remplissant une grille de mots croisés.
L’attention soutenue est également mise à contribution lorsque nous conduisons notre voiture à l’heure de pointe.
On parle alors de vigilance.
L’attention partagée: jongler avec plusieurs tâches en même temps
L’attention partagée permet d’accomplir plusieurs tâches ou de traiter plusieurs catégories d’informations simultanément.
Voici deux exemples:
Lorsque nous lisons ou étudions en écoutant de la musique.
Lorsque nous conduisons notre voiture tout en respectant notre itinéraire, surveillant la signalisation et soutenant une conversation avec notre passager.
C’est sur l’attention partagée que repose la capacité de raisonnement et de résolution de problèmes.
Certains auteurs appellent switching attentionnel cette capacité de jongler avec plusieurs tâches en même temps.
L’attention sélective: s’isoler mentalement
Plus l’attention sélective est forte, plus nous pouvons rester absorbés dans ce que nous faisons
L’attention sélective permet non seulement de s’isoler mentalement de l’environnement physique où l’on se trouve, mais aussi de se détacher de tout ce qui est inutile à la tâche en cours.
Lorsqu’une personne est totalement absorbée dans ce qu’elle fait, au point d’oublier tout ce qui se passe autour d’elle, y compris la conscience de sa propre existence, elle atteint ce que le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi appelle le flow. Le flow, c’est l’attention sélective à son meilleur.
Les musiciens, les écrivains et les artistes connaissent bien cet état de félicité.
Exercices pour mobiliser les capacités d’attention et de concentration
S’intéresser vraiment à son interlocuteur, jongler avec les nombres, maîtriser les mots, écrire à la main (papier-crayon), etc.
Jongler avec les nombres
– Comptez mentalement à rebours, de 100 à 1 au rythme d’un nombre à la seconde sans vous laisser déconcentrer par d’autres pensées. Gardez le rythme.
– Faites des calculs mentaux, tout en imaginant les nombres sur un tableau. Ces calculs doivent être de plus en plus complexes.
Parler lentement
– Prenez l’habitude de parler lentement en vous concentrant sur vos idées, mais aussi sur les mots.
Parler clairement, distinctement et faire l’effort de bien se faire comprendre atteste une pensée claire, limpide, précise et posée
Ordonner sa calligraphie harmonieusement
– Placez à leur place, les accents, la ponctuation, les points sur les i, les barres sur les t, en respectant les marges et les espaces entre les lignes ou encore en distribuant mieux les mots sur chacune des lignes.
Cet exercice de calligraphie permet non seulement d’améliorer la concentration et la mémoire, mais aussi certains aspects du caractère: impatience, impulsivité, procrastination, manque de confiance en soi, désordre, etc.
S’entraîner à la patience
– Dans une salle d’attente, une file d’attente, un embouteillage, au lieu de vous exaspérer, concentrez-vous sur votre respiration et les réactions de votre corps.
Vous pouvez même méditer un peu, discrètement, en répétant un mantra. Un mantra est un son, un mot ou une formule que l’on répète en boucle afin d’apaiser le mental. Il n’a pas forcément une connotation religieuse.
S’isoler régulièrement
– Même si vous vivez en couple et avec des enfants, accordez-vous de temps en temps un moment pour manger en silence total, en vous concentrant totalement sur ce que vous faites, votre téléphone évidemment fermé.
Observer un tableau de maître très chargé
– Balayez du regard un tableau de maître très chargé (paysage, personnages, objets, bâtiments) et analysez-le bien.
– Détournez le regard et notez le maximum de détails dont vous vous souvenez.
Vous trouverez une abondance d’autres exercices dans mes livres pour améliorer vos capacités d’attention et de concentration. Par exemple, tout en discutant avec un partenaire, comptez mentalement des pois chiches ou des haricots secs dans un bol placé devant vous, observez un objet (pierre, flamme d’une bougie) sans penser à rien d’autre, etc.
Les principaux ennemis de la mémoire
Les reconnaître et prendre les dispositions qui s’imposent
Pour améliorer notre mémoire, il ne faut pas seulement l’entraîner. Il est important de commencer par débusquer tous ces «ennemis» sur lesquels nous avons un certain pouvoir au quotidien
Bien des facteurs peuvent nous empêcher de bien retenir une information.
En voici les principaux.
– La fatigue, le stress, les émotions fortes, la perte d’êtres chers.
– Le manque de sommeil et d’exercice.
– La maladie, certains médicaments, la dépression.
– La surabondance d’informations desquelles il faut sans cesse extraire l’essentiel.
– La rapidité des changements.
– Les transitions de vie, par exemple, le passage à la retraite, un deuil, une maladie grave.
– L’obligation d’atteindre sans cesse un haut niveau de performance dans toutes les sphères de notre existence.
– Le manque d’entraînement de notre mémoire au quotidien.
– L’utilisation excessive de notes, fiches, Internet, GPS, etc.
– Le regard des autres amusé et condescendant, parfois méprisant qu’ils portent sur les personnes âgées dès qu’elles prennent plus de temps que les autres à réagir: sortir leur argent à une caisse, comprendre une question ou si elles oublient un simple mot. Comment alors, dans un tel contexte, ne pas douter de soi et de sa mémoire et oser continuer à prendre sa place?
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Pour se concentrer, il faut faire fi des automatismes
Les neuroscientifiques affirment que les personnes capables d’inhiber les automatismes et les interférences quand il le faut sont en général plus intelligentes que les autres et réussissent mieux dans la vie, autant au travail que dans leurs relations, en plus de résister au stress et de mieux s’adapter au changement. Marie-Paule Dessaint dans Le cerveau. Comment entretenir votre mémoire, p. 108
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