Pourquoi faut-il empêcher les automatismes et les habitudes de prendre le contrôle?
Inhibition cognitive: tempérance, autocontrôle, juste milieu, concentration, meilleures relations et bien plus
Par Marie-Paule Dessaint, docteure en sciences de l’éducation, auteure, conférencière et biographe
Les neuroscientifiques affirment que les personnes capables d’inhiber les automatismes et les interférences quand il le faut sont en général plus intelligentes que les autres et réussissent mieux dans la vie, autant au travail que dans leurs relations. Elles résistent mieux au stress et s’adaptent plus facilement au changement. Marie-Paule Dessaint dans Le cerveau. Comment entretenir votre mémoire, p. 108
Dans cet article, je vous invite à (re)découvrir l’importance de l’inhibition cognitive pour bien se concentrer ainsi que celle d’un peu de désinhibition pour être créatifs.
J’ajoute un passage sur la schizophrénie qui se produit lorsque la désinhibition cognitive est excessive.
Cet article complète: L’attention et la concentration: plus fragiles en vieillissant.
Il reproduit des extraits du livre Le cerveau. Comment entretenir votre mémoire et votre intelligence ainsi que de mes autres livres sur ce sujet
Je vous invite aussi à lire L’effet Stroop pour tester votre capacité d’inhibition cognitive et à faire l’exercice proposé
Dans l’article L’attention et la concentration: plus fragiles en vieillissant, nous avons vu que les personnes âgées, mais des plus jeunes aussi, se plaignent souvent des piètres performances de leurs mémoires à court terme et de travail, surtout lorsqu’elles doivent manipuler plusieurs informations en même temps.
Nous avons vu alors que les neuroscientifiques ont établi qu’il s’agit surtout d’un déficit d’inhibition cognitive.
Ce déficit a pour conséquence de laisser une foule d’éléments totalement inutiles encombrer la mémoire et parasiter les capacités d’attention et de concentration.
Le rôle de l’inhibition cognitive est d’empêcher les automatismes, les réflexes, les habitudes, les interférences et les émotions de prendre le contrôle de nos pensées, de nos actions, de nos comportements et de nos apprentissages.
Ce mécanisme d’autocontrôle qui précède l’attention et la concentration permet alors de sélectionner rapidement les actions que nous voulons enclencher et de mettre en sourdine tout ce qui n’est pas utile à la tâche à accomplir.
La mémoire de travail devient alors plus efficace.
Le filtre de l’inhibition cognitive est naturellement plus lent à se mettre en place que les automatismes. Nous devons apprendre à repérer ces automatismes pour éviter qu’ils nous déconcentrent au point de nuire à la tâche en cours. Il est nécessaire aussi de ne pas se laisser distraire par les interférences, par exemple le bruit ambiant ou les pensées parasites
L’inhibition cognitive c’est aussi la tempérance et l’art du juste milieu
Le cerveau est un cheval fougueux que l’inhibition cognitive dirige tel un cavalier avec ses rênes. Alain Berthoz (1997)
En plus d’être au service de nos capacités d’attention et de concentration, l’inhibition cognitive remplit bien d’autres fonctions.
En voici quelques-unes tirées de mes livres dans lesquels vous trouverez d’autres bienfaits de l’inhibition cognitive, mais les principaux se trouvent ici.
– Apprendre des façons nouvelles et plus efficaces de faire les choses sans nous laisser influencer par ce que nous maîtrisons déjà, à force d’habitudes et d’automatismes.
– Prendre un temps d’arrêt pour réfléchir avant de croire les fausses nouvelles, les demi-vérités et les mensonges qui circulent un peu partout, permettant ainsi à notre esprit d’analyse critique de s’exercer.
– Éviter de porter des jugements erronés et sans fondement sur les autres.
– Ne pas succomber au petit vice du commérage et des rumeurs et ne pas les propager.
– Prendre connaissance de nos erreurs et de nos biais de jugement et de raisonnement, de nos fausses croyances, etc.
– Tempérer nos réactions et nos paroles trop spontanées, évitant ainsi de blesser et de fâcher les autres.
Le cerveau préfrontal (action et anticipation) s’enclenche…
Dès que le filtre de l’inhibition cognitive s’enclenche, le cerveau préfrontal en fait tout autant.
Mieux que cela encore, sur le plan cérébral, dès que nous faisons l’effort d’inhiber certaines de nos réactions automatiques pour les remplacer par des comportements mieux adaptés, plus logiques et plus conscients, notre cerveau se reconfigure de façon spectaculaire.
Des réseaux de neurones se forment alors depuis la partie postérieure du cerveau, la région des automatismes, vers la partie antérieure du cerveau, le préfrontal. Le préfrontal est notre cerveau le plus évolué comme vous pouvez le lire dans la légende sous cette illustration.
La désinhibition cognitive: juste ce qu’il faut, trop, pas assez ou pas du tout
Conformisme et perfectionnisme, créativité, schizophrénie…
Si l’inhibition cognitive rend notre mémoire plus efficace, notre vie et nos relations plus sereines, en excès elle devient un frein majeur à l’expression de la créativité.
Les autres freins à la créativité sont le conformisme, le perfectionnisme, le manque de confiance en soi, la peur de l’inconnu, la surspécialisation, l’obligation de performance, l’esprit extrêmement logique et rationnel ainsi que le besoin de réfléchir et d’analyser toutes les options possibles avant d’agir: un excès d’inhibition cognitive!
Vous connaissez certainement des personnes qui entrent dans ce moule… du perfectionnisme un peu rigide et d’un manque de créativité ou d’un peu de «laisser-aller joyeux». Moi, oui!
Un peu de désinhibition c’est bon pour la créativité
L’illumination soudaine, l’idée de génie, l’Eureka de la découverte des créateurs, des artistes et des chercheurs seraient en grande partie le fruit de la désinhibition cognitive.
Il en est ainsi de certains comportements et pensées quelque peu bizarres et excentriques de grands créateurs de génie, peintres, poètes et musiciens.
Tout le monde, on presque, a entendu parler des extravagances de Salvador Dali (voir la capsule YouTube), de Vincent Van Gogh ou d‘Erik Satie.
Un excès de désinhibition cognitive: la schizophrénie au rendez-vous?
La personne schizophrène peut entendre des voix, rencontrer des personnages imaginaires ou être persuadée d’être impartie d’une mission importante au point où le
sort de l’humanité repose sur elle
Il arrive que les filtres de l’inhibition cognitive se relâchent totalement.
Le cerveau ne parvient plus alors à donner la priorité aux infornations utiles, ce qui entraîne des problèmes mentaux, dont la schizophrénie.
Vous vous souvenez peut-être de l’histoire de John Forbes Nash Jr., un économiste-mathématicien étasunien.
Son histoire a été racontée dans un livre, puis le film Un homme d’exception (A Beautiful Mind), réalisé en 2001 par Ron Howard.
John Forbes Nash Jr. était pourtant un génie et un grand créatif.
Il a même obtenu de nombreux prix prestigieux pour ses travaux, dont le prix Nobel de sciences économiques en 1994.
Au début des années 1950, il était pourtant persuadé qu’un agent fédéral, William Parcher, lui avait proposé d’aider secrètement les États-Unis à décripter dans la presse les messages secrets de certains espions russes en train de préparer un attentat nucléaire.
Exercices pour améliorer votre capacité d’inhibition cognitive
Ces conseils et exercices proviennent de mon livre Le cerveau. Comment entretenir votre mémoire et votre intelligence (p. 116 à 117).
Ils vont vous faire prendre conscience des moments où vous vous laissez facilement distraire par les interférences et à quelle rapidité cela se produit généralement.
Vous pourrez alors mieux les contrôler et, ainsi, réduire les oublis et les distractions lorsque vous êtes en pleine action: apprentissage, lecture, écriture, activités quotidiennes…
– Observez-vous souvent en pleine action. Analysez vos réactions et vos comportements, autant ceux qui vous nuisent que ceux qui vous servent bien; autant vos erreurs et vos échecs que vos succès et vos bons coups.
Déterminez quels automatismes ont pu intervenir.
– Résistez souvent et le plus longtemps possible, juste pour le plaisir de l’exercice, à une ixième bière bien fraîche, un verre de vin en trop, une pâtisserie, un objet ou un nouveau vêtement dont vous n’avez pas vraiment besoin, certaines petites colères et querelles pour un rien.
– Résistez aussi à l’habitude de faire plusieurs choses en même temps au point d’en perdre votre concentration.
– Quand vous êtes dans l’action, faites les choses avec ordre et méthode.
Soyez entièrement à ce que vous faites. Enlevez le pilote automatique et ne pensez à rien d’autre.
– Imitez les personnes qui réussissent à force de courage, de persévérance et de détermination.
– Lisez des autobiographies de personnes qui ont réussi leur vie malgré des obstacles, mais pas celles de ceux qui ne font que s’autoglorifier.
– Suivez des formations visant à développer l’inhibition et le contrôle cognitif général dès l’école, et par la suite aussi.
Invitez vos enfants et vos petits-enfants à en faire autant, car il s’agit d’un des plus beaux cadeaux de vie que vous puissiez leur offrir.
– Quand cela est possible, ne prenez pas le même itinéraire quand vous vous déplacez à pied ou en voiture.
Entraîner très tôt les enfants à résister…
Une histoire de caramel ou de guimauve
Plus un enfant apprend tôt cette fonction cognitive supérieure, l’inhibition cognitive, plus il augmente ses chances de réussir dans toutes les dimensions de sa vie.
Pour mieux comprendre ce phénomène, je vous suggère de visionner cette expérience menée sur des enfants âgés de quatre ans.
On les a laissés seuls pendant 20 minutes avec une guimauve ou un caramel en leur en promettant un second s’il résistent à l’envie de le manger.
Sur cette vidéo, vous pouvez observer toutes les stratégies qu’ils ont déployées pour respecter le temps exigé… ou ne pas y parvenir.
https://www.youtube.com/watch?v=xybQrxvpOnY.
Quatorze ans plus tard, la comparaison entre la vie des enfants ayant résisté à la friandise à celle des autres a montré ceci:
Les auteurs de cette étude longitudinale de l’Université de Stanford ont alors découvert que les enfants qui n’avaient pas réussi à résister à la friandise (qui avaient donc un déficit d’inhibition cognitive; d’autocontrôle) montraient ces mêmes caractéristiques:
Ils…
– étaient beaucoup plus vulnérables au stress
– se mettaient plus facilement en colère
– étaient beaucoup plus impulsifs
– avaient tendance à se bagarrer
– avaient obtenu de moins bons résultats aux examens d’entrée à l’université
– étaient moins bons dans leurs études
À l’approche de la trentaine, cette différence était encore plus marquée:
– moins bonne résistance au stress
– manque de persévérance
– plus de difficultés à se concentrer
– distractions fréquentes
– moins bonnes compétences intellectuelles et émotionnelles
– vie plus souvent en solitaire
.
L’apprentissage du contrôle de soi dès le plus jeune âge: des évidences
D’autres facteurs ont évidemment pu entrer en ligne de compte dans ces résultats, mais il est évident que cette histoire, racontée par le psychologue Daniel Goleman, auteur de plusieurs livres sur l’intelligence émotionnelle, montre les effets à long terme de l’apprentissage du contrôle de soi.
Non seulement cet apprentissage conduit à une vie plus calme, plus sereine et plus harmonieuse avec soi et avec les autres, mais il protège aussi la santé physique et psychologique. Le contrôle de soi facilite également l’adaptation au changement qui est aussi un facteur de survie
L’inhibition cognitive, l’autocontrôle s’apprend et s’améliore à tout âge
L’inhibition cognitive peut s’apprendre à tout âge, même chez les jeunes enfants dont le cerveau frontal n’est pas encore arrivé à maturité ou chez les aînés qui veulent conserver le plus longtemps possible leur capacité de se concentrer, leur intelligence et leur autonomie
En apprenant très tôt à maîtriser nos émotions et nos pulsions et à retarder le moment d’obtenir quelque chose, l’apprentissage de l’inhibition cognitive pourrait, il me semble, réduire considérablement le recours à ces contentions chimiques que sont notamment les médicaments prescrits contre l’anxiété, le stress, la dépression, l’épuisement professionnel, l’insomnie, les maladies psychosomatiques ou encore le déficit d’attention.
Un petit exercice de calcul pour finir?
Voici un petit exercice très simple, auquel je vous demande de répondre rapidement et spontanément, sans prendre le temps de trop réfléchir.
Si Jean a 250$ en poche pour ses vacances et 5 de plus que Marie.
De combien d’argent Marie dispose-t-elle?
La plupart des enfants se trompent et, parfois aussi des adultes, à cause du «plus».
Qu’avez-vous répondu? (avant de réfléchir à votre réponse)?
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